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Texte étudié :
CHAP. VII. — Les disputes et les audiences.
C’est ainsi que Zadig montrait tous les jours la subtilité de son génie et la bonté de son âme. On l’admirait; et cependant on l’aimait. Il passait pour le plus fortuné de tous les hommes; tout l’empire était rempli de son nom, toutes les femmes le lorgnaient, tous les citoyens célébraient sa justice; les savants le regardaient comme leur oracle, les prêtres même avouaient qu’il en savait plus que le vieux archimage Yébor. On était bien loin alors de lui faire des procès sur les griffons; on ne croyait que ce qui lui semblait croyable.
Il y avait une grande querelle dans Babylone, qui durait depuis quinze cents années, et qui partageait l’empire en deux sectes opiniâtres: l’une prétendait qu’il ne fallait jamais entrer dans le temple de Mithra que du pied gauche; l’autre avait cette coutume en abomination, et n’entrait jamais que du pied droit. On attendait le jour de la fête solennelle du feu sacré pour savoir quelle secte serait favorisée par Zadig. L’univers avait les yeux sur ses deux pieds, et toute la ville était en agitation et en suspens. Zadig entra dans le temple en sautant à pieds joints, et il prouva ensuite, par un discours éloquent que le Dieu du ciel et de la terre, qui n’a acception de personne, ne fait pas plus de cas de la jambe gauche que de la jambe droite.
L’Envieux et sa femme prétendirent que, dans son discours, il n’y avait pas assez de figures, qu’il n’avait pas fait assez danser les montagnes et les collines. « Il est sec et sans génie, disaient-ils; on ne voit chez lui ni la mer s’enfuir, ni les étoiles tomber, ni le soleil se fondre comme de la cire; il n’a point le bon style oriental. » Zadig se contentait d’avoir le style de la raison. Tout le monde fut pour lui, non pas parce qu’il était dans le bon chemin, non pas parce qu’il était raisonnable, non pas parce qu’il était aimable, mais parce qu’il était premier vizir.
Il termina aussi heureusement le grand procès entre les mages blancs et les mages noirs. Les blancs soutenaient que c’est une impiété de se tourner, en priant Dieu, vers l’orient d’hiver; les noirs assuraient que Dieu avait en horreur les prières des hommes qui se tournaient vers le couchant d’été. Zadig ordonna qu’on se tournât comme on voudrait.
Commentaire :
«Histoire orientale» de François Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778), Zadig ou la destinée fut publiée en 1747. Zadig s’appela d’abord Memnon, qui ne comportait que quinze chapitres. Selon Longchamp, secrétaire de Voltaire, ce conte aurait été composé chez la duchesse du Maine, à Sceaux où le philosophe s’était réfugié à la suite d’un incident au jeu de la reine à l’automne 1747. Longchamp a sans doute confondu ce séjour à Sceaux avec celui de l’année précédente. Mais il n’a aucune raison de se tromper lorsqu’il raconte que Voltaire lisait à la duchesse des chapitres de ses contes, en particulier de Zadig. Encouragé par les applaudissements, Voltaire décide de le publier en limitant l’impression à mille exemplaires. Il recourt à une ruse étonnante, donne la première moitié de son manuscrit à Prault et la seconde à Machuel. Chaque libraire doit lui abandonner sa moitié d’ouvrage. Il fait brocher les deux parties ensemble, qui paraissent en septembre 1748. Il révise le texte en 1752 et en 1756....
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