Paul CLAUDEL
" Laube de juin "
Poésies diverses
Le dernier rêve s'est enfui, Une lune sans couleur Trépasse au fond de la nuit. Qu'ai-je fait de la douleur? Le jour nouveau, il a lui ! Vite, levons-nous sans bruit ! Quelle est cette divine odeur? Le dernier rossignol s'est tu Turlututu ! Il est cinq heures du matin. Un ange chante en latin. Juin pendant que je dormais S'est mis à la place de mai. C'est lui qui vient de m'octroyer Cette rose de pleurs noyée. La terre a reçu le baptême. Bonjour, mon beau soleil, je t'aime ! Un peu mouillé mais tout neuf, Le voici qui sort de son uf, Rouge comme un coquelicot. Cocorico ! Tant de gaîté, tant de rire, La caille qui tirelire, Le buf et le gros cheval Qu'on mène chez le maréchal, Comme un enfant à mon cou Le baiser du vent sur ma joue, Tant de clarté, tant de mystère, Tant de beauté sur la terre, Tant de gloire dans les cieux, Que plein de larmes le vieux Poète reste à quia Alléluia ! |
CONSEILS. |
Ce texte appartient à un groupe de huit poèmes intitulé Vere Novo - Petite suite du printemps et de l'été, qualifié par P. Claudel de " petits poèmes rhodaniens ". " L'aube de juin ", que son auteur considérait comme " un morceau de bravoure " , date du 20 juin 1935 et fut publié en 1936.
Les trois strophes, malgré les apparences, suivent un schéma un peu différent. La première, de neuf vers, a un schéma de rimes complexe : les 4 premiers vers comportent des rimes croisées (ABAB) ; le vers 4, commun avec le groupe précédent, ouvre une série de rimes embrassées (BAAB), avant un distique en rimes suivies (CC). Les rimes des seconde et troisième strophes, des dizains (dix vers), sont suivies.
À l'exception du dernier vers de chaque strophe, un refrain de quatre syllabes, les strophes sont en heptasyllabes (7 syllabes) et octosyllabes (8 syllabes). Strophe 1 : 3 octosyllabes pour 5 heptasyllabes; strophe 2 : 8 octosyllabes pour 3 heptasyllabes; cette proportion s'inverse dans la dernière strophe : 3 octosyllabes pour 8 heptasyllabes. Rappelons que P. Claudel privilégiait le rythme aux dépens du décompte scolaire des syllabes.
PLAN
Introduction
Claudel a toujours mené de front une carrière diplomatique et une carrière d'écrivain : la richesse des thèmes qu'il aborde, tant dans son théâtre que dans sa poésie, en témoigne. Ce texte occupe pourtant une place à part dans la production de ce poète plutôt enclin aux uvres de grande envergure qui s'interrogent sur la création et sur le rôle de la Muse. Ici, nous avons un texte apparemment limpide et souriant, écrit un jour de juin 1935 et qui évoque la naissance d'un matin. Mais, au delà de cette simplicité, apparaît la dimension mystique toujours présente chez Claudel. Nous orienterons donc l'étude selon deux axes : - Une aube tranquille - Une action de grâces |
Une aube tranquille
La venue du jour
Une nature tranquille
Le contact entre le poète et le monde
Le poète participe ainsi à la création. Il écrit d'ailleurs dans l'Introduction à un poème sur Dante : " L'objet de la poésie [...] c'est cette sainte réalité, donnée une fois pour toutes, au centre de laquelle nous sommes placés. [...] C'est tout ce qui nous regarde et que nous regardons. "
Une action de grâces
L'ambiguïté à l'uvre
La lune qui " trépasse au fond de la nuit " (v. 3) représente les angoisses de l'ignorance tandis que le soleil " qui sort de son uf " (v. 19) est promis à une longue vie de foi sereine.
Action de grâces
La formule latine " a quia " (" le vieux / Poète reste à quia ", v. 31-32) est héritée de la scolastique ; connaître les choses a quia (d'après les causes) était moins rigoureux que les connaître d'après l'essence (propter quid). Etre a quia a fini par signifier : ne pas savoir quoi répondre. Ici le poète ne peut que se taire, éperdu d'admiration devant la création divine.
La prière était déjà à l'uvre au vers 11 : " Un ange chante en latin " fait allusion à l'office des matines. De même, par la venue du jour, " La terre a reçu le baptême " (v. 16).
Il est à noter également que cette ultime strophe est construite sur une phrase unique, ce qui en élargit le rythme : plus de ponctuation exclamative ou interrogative, mais la fluidité des virgules qui débouche sur l'action de grâces.
Conclusion
Ainsi, par des notations simples et un émerveillement à la limite de la naïveté, Claudel parvient à rendre compte du mystère de la naissance du jour et, par-delà, du monde entier. " Le monde est une immense matière qui attend le poète pour en dégager le sens et pour le transformer en actions de grâces ", affirme le poète dans son Art poétique. C'est bien ce qui est à l'uvre ici, dans ce poème à la fois bucolique et de véritable profession de foi. |
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