Le théâtre

Textes et document iconographique

A. Jean Racine [1639-1699], Bérénice, acte I, scène 1.

B. Jean Racine, Bérénice, acte V, scène 5 (vers 1303-1347).

C. Interview du scénographe et peintre Gilles Aillaud [1928-], parue dans Théâtre aujourd'hui, CNDP, 1993.

D. Document iconographique : photo de la mise en scène de Klaus Michael Grüber à la Comédie française, 1986, scénographie de Gilles

Aillaud, Théâtre aujourd'hui.

Annexe

Bérénice, liste des personnages.

TEXTE A — Jean Racine, B é r é n i c e

[ L’ argument de la pièce pourrait se résumer à cette phrase de Suétone dans La Vie des douze Césars que Racine cite dans sa préface: « Titus, qui aimait passionnément Bérénice, et qui même, à ce qu’on croyait, lui avait promis de l’épouser, la re n v o y a de Rome, malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire. »]

ANTIOCHUS

Arrêtons un moment. La pompe de ces lieux,

Je le vois bien, Arsace, est nouvelle à tes yeux.

Souvent ce cabinet superbe et solitaire

Des secrets de Titus est le dépositaire.

C’est ici quelquefois qu’il se cache à sa cour,

Lorsqu’il vient à la reine expliquer son amour.

De son appartement cette porte est prochaine,

Et cette autre conduit dans celui de la reine.

Va chez elle : dis-lui qu’importun à regret

J’ose lui demander un entretien secret.

ARSACE

Vous, Seigneur, importun ? vous, cet ami fidèle

Qu’un soin si généreux intéresse pour elle ?

Vous, cet Antiochus, son amant autrefois?

Vous, que l’Orient compte entre ses plus grands rois?

Quoi! déjà de Titus épouse en espérance,

Ce rang entre elle et vous met-il tant de distance?

ANTIOCHUS

Va, dis-je ; et sans vouloir te charger d’autres soins,

Vois si je puis bientôt lui parler sans témoins.

Texte B — Jean Racine, B é r é n i c e

BÉRÉNICE

Non, je n’écoute rien. Me voilà résolue :

Je veux partir. Pourquoi vous montrer à ma vue?

Pourquoi venir encore aigrir mon désespoir?

N’êtes-vous pas content ? Je ne veux plus vous voir.

TITUS

Mais, de grâce, écoutez.

BÉRÉNICE

Il n’est plus temps.

TITUS

Madame,

Un mot.

BÉRÉNICE

Non.

TITUS

Dans quel trouble elle jette mon âme !

Ma princesse, d’où vient ce changement soudain ?

BÉRÉNICE

C’en est fait. Vous voulez que je parte demain ;

Et moi, j’ai résolu de partir tout à l’heure ;

Et je pars.

TITUS

Demeurez.

BÉRÉNICE

Ingrat, que je demeure !

Et pourquoi ? Pour entendre un peuple injurieux

Qui fait de mon malheur retentir tous ces lieux?

Ne l’entendez-vous pas, cette cruelle joie,

Tandis que dans les pleurs moi seule je me noie?

Quel crime, quelle offense a pu les animer ?

Hélas ! et qu’ai-je fait que de vous trop aimer?

TITUS

Écoutez-vous, Madame, une foule insensée ?

BÉRÉNICE

Je ne vois rien ici dont je ne sois blessée.

Tout cet appartement préparé par vos soins,

Ces lieux, de mon amour si longtemps les témoins,

Qui semblaient pour jamais me répondre du vôtre,

Ces festons, où nos noms enlacés l’un dans l’autre

À mes tristes regards viennent partout s’offrir,

Sont autant d’imposteurs que je ne puis souffrir.

Allons Phénice.

TITUS

Ô ciel ! que vous êtes injuste !

BÉRÉNICE

Retournez, retournez vers ce sénat auguste

Qui vient vous applaudir de votre cruauté.

Hé bien, avec plaisir l’avez-vous écouté ?

Êtes-vous pleinement content de votre gloire?

Avez-vous bien promis d’oublier ma mémoire ?

Mais ce n’est pas assez expier vos amours :

Avez-vous bien promis de me haïr toujours ?

TITUS

Non, je n’ai rien promis. Moi, que je vous haïsse !

Que je puisse jamais oublier Bérénice !

Ah! dieux! dans quel moment son injuste rigueur

De ce cruel soupçon vient affliger mon cœur !

Connaissez-moi, Madame, et depuis cinq années

Comptez tous les moments et toutes les journées

Où par plus de transports et par plus de soupirs

Je vous ai de mon cœur exprimé les désirs :

Ce jour surpasse tout. Jamais je le confesse,

Vous ne fûtes aimée avec tant de tendresse ;

Et jamais…

BÉRÉNICE

Vous m’aimez, vous me le soutenez ;

Et cependant je pars, et vous me l’ordonnez !

Texte C — Gilles Aillaud, Théâtre aujourd’hui

[C’est en peintre avant tout que Gilles Aillaud a conçu la scénographie de Bérénice mise en scène par Klaus Michael Grüber (Comédie-Française, 1984).]

Comment avez-vous abordé cette scénographie ?

— Au départ, travailler sur B é r é n i c e me faisait très peur. Car je pense que ce n’est pas une pièce à représenter mais à lire. Racine, à mon sens, n’est pas très théâtral et particulièrement cette œuvre. Pour une question de langage. C’est comme si on voulait mettre en scène un poème de Baudelaire. Ce serait quelque peu absurde.

L’élaboration de votre travail s’est-elle faite à partir de références à la représentation classique de la tragédie ?

— Non. Absolument pas. Je ne me suis inspiré d’aucune théorie part i c u l i è re et n’ai eu recours à aucune référence.

Avez-vous travaillé à partir d’images suggérées par la lecture de la pièce ?

Les images ne sont pas venues. Alors, en désespoir de cause, j’ai recréé sur scène l ’appartement habité par Grüber. Un jour, en visite chez lui, j’ai été touché par la disposition des lieux. Il y avait, d’une part, une cage d’escalier, de l’autre, une grande fenêtre. Tout le décor est parti de là. La cage d’escalier s’est transformée en une coupole recouverte de briques, semblable à l’intérieur du Panthéon à Rome. La coupole avait un aspect opprimant. C’est le coté de Titus, la Rome antique, un univers oppressif .  La grande fenêtre avec son appui me faisait penser à celle peinte par Matisse dans son tableau, La Leçon de piano. Je l’ai transposée entourée d’un mur peint en rouge, avec une ouverture vert clair. Un rideau transparent remuait car du vent soufflait. Cela donnait une atmosphère plutôt tropicale, orientale. C’est le côté de Bérénice. Le sol, lui, était recouvert de mosaïques d’inspiration romaine sur un thème plus ou moins érotique de l’époque de Dioclétien.

C’est donc plus le contexte historique, l’Antiquité qui ont nourri votre imagination?

— Oui, l’antique, mais également ce tableau de Matisse qui m’évoquait une sorte de grâce, de laisser-aller plus ou moins féminin. En fait, c’est surtout la volonté de représenter une poésie particulière à Racine qui nous a guidés, Grüber et moi.

Et vous avez donc voulu une partie « Ti t u s » plus masculine et une partie  « Bérénice », plus féminine.

— Oui j’ai conçu l’espace comme cela. Mais c’est ce que dit le texte au début :

« Antiochus

Arrêtons un moment. La pompe de ces lieux,

Je le vois bien, Arsace, est nouvelle à tes yeux.

Souvent ce cabinet superbe et solitaire

Des secrets de Titus est le dépositaire.

C’est ici quelquefois qu’il se cache à sa cour,

Lorsqu’il vient à la reine expliquer son amour.

De son appartement cette porte est prochaine,

Et cette autre conduit dans celui de la reine. »

Pourquoi avoir posé une pierre sous la coupole ?

— C’était un galet que j’avais trouvé dans la mer en Grèce et que j’ai fait copier par un sculpteur. Elle sert à meubler le côté « Titus ». Elle représente quelque chose de tombal, de violent, qui empêche. Comme dit Ponge: « La vie est un cœur de pierre .» Et ce cœur de pierre s’opposait au rideau, à la légèreté aérienne de la partie « Bérénice ».

Comment avez-vous travaillé la lumière ?

— Pour moi, réaliser un décor ou penser la lumière s’effectuent dans un même élan. En haut de la coupole s’ouvrait un trou par où tombait une lumière verticale, froide. De l’autre côté, une lumière horizontale et chaude traversait l’espace, balayée par un certain mouvement nonchalant. Car deux univers se heurtaient, celui dur, tranchant de Titus, celui plus flottant de Bérénice.

Quelle relation l’espace entretenait-il avec le jeu des acteurs ?

Comme toujours chez Grüber, les acteurs ne bougeaient pas beaucoup. Et là, encore moins. C’est une tragédie où tout est immobile, le désastre est accompli. C’est comme un feu déjà éteint mais dans lequel il reste des braises. C’est en définitive peut-être plus le décor que les acteurs qui apportait le mouvement avec la fenêtre ouverte et le rideau qui s’agitait.

Vous sentez-vous davantage peintre que scénographe ?

Je suis peintre avant tout et ne tiens pas vraiment à faire de la scénographie. Je n’ai aucun principe et aucune formation en ce domaine. D’ailleurs je n’aime pas le terme de scénographe. Je préfère celui de responsable visuel.Le problème, au théâtre, c’est qu’on perd un temps énorme. Il faut se plier aux exigences d’un travail d’équipe. Et, à la différence de la peinture, l’œuvre réalisée — le décor — est destinée à être piétinée par la pratique du jeu. Ce travail ressemble plutôt à celui d’un architecte : créer un lieu fait pour être parcouru, habité.

Pourtant de nombreux peintres (à commencer par Picasso) ont collaboré à des mises en scène?

C’est vrai, on est tenté de participer à une entreprise dirigée par d’autres. C’est reposant. Cela casse la solitude de la toile.

Document iconographique D — Photographie de la mise en scène de K. M. Grüber à la Comédie-Française en 1986, scénographie de Gilles Aillaud

berenice.jpg (10838 octets)

 

Annexe — B é r é n i c e, liste des personnages

Titus, empereur de Rome.

Bérénice, reine de Palestine.

Antiochus, roi de Comagène.

Paulin, confident de Titus.

Arsace, confident d’Antiochus.

Phénice, confidente de Bérénice.

Rutile, Romain.

Suite de Titus.

I. Vous répondrez d’abord aux questions suivantes (4 points) :

— Quelles indications concernant l’espace scénique de B é r é n i c e vous donnent les deux textes de Racine (textes A et B) ?

— En prenant appui sur la photographie et sur l’interview de Gilles Aillaud, présentez brièvement les choix du scénographe.

A. Présentation du sujet

1. Ce sujet croise deux objets d'étude.

- Objet d'étude principal : théâtre et représentation :

Le choix d'un texte de scénographe et d'une photographie de son spectacle doivent permettre de réfléchir sur les différentes options qu'on peut prendre lorsqu'on "représente" une pièce. Le sujet de dissertation permet de mettre en perspective la tradition scolaire de l'approche théâtrale ("lire") et les conditions de diffusion sociales du théâtre.

- Objet d'étude : convaincre, persuader, délibérer : l'essai, le dialogue, l'apologue :

Le corpus propose deux formes de dialogue : dialogue théâtral et interview.

Dans un cas, un dialogue impossible (Bérénice), dans l'autre, un pseudo dialogue. Les connaissances des élèves pourront leur servir dans le cadre du commentaire, ou pour le sujet d'invention lorsqu'ils réagiront sur le travail de Gilles Aillaud.

2. Les élèves auront aussi la possibilité d'exploiter leurs connaissances en histoire littéraire (classicisme / le théâtre au XVIIème siècle) tant pour le commentaire que pour la dissertation.

Racine conçoit ses pièces comme des œuvres à représenter devant le Roi et la cour, et pour Bérénice, il s'agit même d'un acte politique. "La pompe de ces lieux" redouble celle du lieu de la représentation. Les connaissances qu’ont les élèves sur le contexte historique de la création de la pièce seront utiles pour critiquer la démarche de G. Aillaud qui affirme ne pas tenir compte du contexte de rédaction de la pièce.

3. Le travail d'écriture d'invention présente enfin l'intérêt de proposer aux élèves de choisir une position aussi bien qu'un registre. L'argumentation peut-être développée aussi bien en partant de la démarche du scénographe que du résultat de son travail, mais aussi à partir de ce qu'auraient imaginé les élèves à la lecture du texte (lien avec la question n°1).

Le sujet est l'occasion de mettre en œuvre des connaissances acquises en lecture de l'image, et plus particulièrement de réinvestir ce qui aura été vu en termes de représentation théâtrale (position des personnages dans l'espace, valeur des éléments du décor, costumes…).

B. Questions

1. Quelles indications concernant l'espace scénique de Bérénice vous donnent les deux textes de Racine (textes A et B) ?

2. En prenant appui sur la photographie et sur l'interview de G. Aillaud, présentez brièvement les choix du scénographe.

Question 1

Critères d'évaluation

- observation précise des textes ;

- connaissance des didascalies internes ;

- utilisation du paratexte ;

- capacité d'induction.

Proposition de corrigé

Texte A

Les élèves trouveront aisément (grâce à la lecture du texte de G. Aillaud) que le lieu est à considérer comme un espace médian entre les appartements de Titus et de Bérénice. Les termes de "pompe" et de "superbe" (expliqués en note) posent la question de la manière dont le pouvoir orgueilleux cherche à s'illustrer. L'étonnement d'Arsace redouble celui du spectateur et se charge de l'exprimer (les élèves ne sont pas censés connaître le sens classique du verbe, mais peuvent s'interroger sur cet étonnement).

"Cabinet solitaire", répétition du mot "secret" : ces notations peuvent permettre de s'interroger sur le paradoxe du secret violé par le regard du spectateur et sur la manière de le représenter.

Les plus attentifs s'interrogeront sur le "Arrêtons un moment" qui inaugure la pièce et pourront trouver dans le texte B des éléments pour nourrir leur réflexion.

Texte B

La connaissance des règles du théâtre classique ("en un lieu…") peut amener les élèves à quelques remarques pertinentes : il s'agit du même lieu ; cette unité renforce le caractère statique - déjà pressenti dans le "Arrêtons…"- et qui pourra être confirmé par la contradiction entre les affirmations de Bérénice ("je pars") et le fait qu'elle "demeure".

Les élèves pourront néanmoins signaler un problème : le lieu est désigné comme celui des "appartements" de Bérénice, appartements décorés de festons où les noms des deux amants sont enlacés ; l’espace scénique apparaît ainsi comme le lieu d'amour, contraire à l'orgueil solitaire du cabinet qui se présentait en scène 1.

On pourra aboutir à une réflexion sur l'espace scénique : faudrait-il imaginer deux décors ? faut-il concevoir un lieu à fonctions multiples, susceptible de représenter les deux lieux ?

Enfin, la présence de la rumeur du peuple peut faire imaginer un espace ouvert sur Rome.

Question 2

Critères d'évaluation

- observation du texte et de l'image ;

- repérage de l'essentiel ;

- reformulation.

Proposition de corrigé

La lecture du texte de G. Aillaud et l'observation de l'image permettent d'effectuer les remarques suivantes :

- la scénographie n'a pas recours à des références contextuelles ou textuelles ; on note l’atemporalité des choix pour le décor et les costumes. Même si les élèves ne savent pas que la référence à Dioclétien est un anachronisme, ils peuvent constater que les marqueurs temporels sont quasiment absents et que la pierre au centre du décor évoque une idée d'immuabilité.

- Gilles Aillaud conçoit un espace binaire : le masculin, romain, "dur" de Titus ; le féminin oriental, "flottant" de Bérénice. Cette conception cherche à souligner la distance qui s'est construite entre les deux amants et que confirme l'éloignement des deux corps sur la photo. On peut constater que les regards ne se rencontrent pas.

C. Commentaire

Vous commenterez l’extrait de la scène 5 de l’acte V de Bérénice (texte B).

Critères d’évaluation

- mise en œuvre des connaissances sur le fonctionnement du dialogue au théâtre (longueur des répliques, enchaînements…) ;

- mise en œuvre des connaissances sur les registres pour caractériser les personnages ;

- maîtrise de la langue (ici, importance des modalités) ;

- connaissance de la métrique et des places remarquables dans le vers ;

- exploitation du paratexte et des orientations proposées par les questions ;

- capacité à organiser le propos ;

- expression et intégration des références au texte.

Proposition de corrigé

Le commentaire a d'abord pour vocation d'éclairer le sens du texte et de rappeler le propos de la pièce (la manière dont l'extrait s'y inscrit). On peut penser que le travail sur le dialogue effectué dans le cadre des objets d'étude aidera les élèves à réfléchir ici sur ses dysfonctionnements. Enfin, les éventuelles analyses des déplacements des acteurs sur scène peuvent engager les élèves à s'interroger sur l'aspect statique des personnages.

I. Le conflit amour / état

La lecture du paratexte doit aider les élèves à saisir l'enjeu de la discussion entre les personnages ainsi que celui de la pièce, et dès lors de ce qui fait le ressort du tragique.

II. L'impossible dialogue

On note au début du texte, dès le premier hémistiche : "Non, je n'écoute rien", paroles prononcées hors de toute réponse à un précédent discours, soulignées par les négations (non, rien).

On peut étudier l'enchaînement des répliques v. 4-5 : « Je ne veux plus vous voir / Mais de grâce écoutez ». Cet enchaînement impossible conduit à l’aparté (v. 6), à la parole coupée. Et pourtant, on pourra souligner la progression : «Demeurez /que je demeure» qui correspond à une reprise des paroles de l'autre, même si c'est avec une autre modalité et un autre registre ; au sein du même vers 10 on passe de la tension totale à une première forme d'union avec un effet de rime intérieure : "Et je pars" (3)/ Demeurez (3) //Ingrat, que je demeure (6). Le même effet de rime entre les deux premiers hémistiches sur "promis" se retrouve aux v. 32 et 33, comme dans la reprise du "haïr" avec la rime impossible « haïsse/ Bérénice » (vers 33-34). Ce retournement est confirmé par l'évolution des temps de parole, Titus peut enfin s'exprimer.

On relèvera enfin le nombre d'interrogations formulées par Bérénice mais qui n'attendent pas de réponses et la présence de registres différents. Le désespoir de Bérénice prend les accents de la colère et de l'indignation. Le désespoir de Titus se traduit par deux mouvements opposés : d’abord l'abattement puis la révolte contre l'injustice qui lui est faite.

La synthèse partielle de l’analyse peut prendre la forme d’une interrogation : qui donc est "orgueilleux", qui donc est "cruel" ?

III. L’impossible départ

On peut mettre en évidence la contradiction entre les dires et les actes de Bérénice en relevant le nombre de fois où le départ est affirmé et pourtant contredit par le simple fait que Bérénice parle.

On remarque le retournement : "je veux partir / je pars et vous me l'ordonnez". Le mouvement volontaire devient un mouvement subi et impossible.

On pourra noter, si on a bien lu le paratexte, que toute la problématique de la pièce est là : Bérénice renvoyée doit prendre elle même la décision de partir.

La réflexion sur le caractère statique de la mise en scène trouve ici son sens.

D. Dissertation

Gilles Aillaud affirme qu'il est des pièces qui ne sont pas à "représenter mais à lire". Vous réfléchirez sur ce propos en vous aidant du corpus mis à votre disposition, des œuvres que vous avez étudiées en classe et de votre expérience de spectateur.

Critères d'évaluation

- exploitation du corpus ;

- exploitation des lectures effectuées dans l'année et des analyses faites en classe ;

- exploitation de la culture théâtrale ;

- pertinence des arguments ;

- organisation du propos ;

- pertinence des exemples et qualité de leur exploitation ;

- expression et intégration des références.

Proposition de corrigé

Lire, c’est déchiffrer dans la linéarité, mais aussi et surtout mettre en relation, prendre le temps de s'arrêter pour s'interroger, pour analyser. Rôle très actif du lecteur qui intervient dans le texte, participe à son élaboration.

Représenter, c’est présenter une nouvelle fois : le mot même souligne le phénomène de recréation, de transformation ; il renvoie de plus à un autre code, le code de l'image principalement qui peut venir redoubler le texte, le compléter, se superposer à lui, voire le nier.

S’ajoute pour le spectateur l’impossibilité d'arrêter le temps : le théâtre peut alors être considéré comme un art "total" certes, mais aussi totalitaire.

On peut accepter aussi bien un plan dialectique, qu'une prise de position étayée.

Exemple de plan

I. Une position doublement paradoxale

1. Le théâtre se définit comme un texte à voir (cf. étymologie du mot, cf. le fait que les auteurs pensent leurs pièces en fonction d'acteurs précis, en fonction du lieu où la représentation aura lieu).

2. G. Aillaud formule une telle affirmation alors qu'il est lui-même chargé de la scénographie. Et pourtant, l'on peut justifier cette position.

II. Pourquoi privilégier la lecture du texte théâtral ?

1. Reprise de l'argument d'Aillaud : sa dimension poétique.

2. Mais, au delà, au nom de la liberté du lecteur :

- liberté de circuler dans l'œuvre,

- liberté de s'attarder sur le sens d'un mot d'une réplique, d'une tirade, liberté de "muser",

- liberté d'imaginer les éléments d'une représentation,

- liberté de refuser toute mise en image, toute actualisation du texte.

E. Invention

Un lecteur réagit au travail de Gilles Aillaud et adresse son texte au courrier des lecteurs de Théâtre d'aujourd'hui. Il pourra exprimer son admiration, son ironie ou son indignation. Vous rédigez ce courrier.

Critères d'évaluation

- critères formels : l’adresse au courrier des lecteurs impose l’emploi de la 1ère personne du singulier, l’explicitation des raisons de la prise de plume ; on rédige un texte d'humeur, qui permet une grande souplesse des articulations logiques et de la structure ;

- analyse des justifications présentées par G. Aillaud ;

- observation attentive de la photo ;

- exploitation des apports donnés par la réponse à la première question ;

- qualité et richesse des arguments ;

- cohérence du propos (organisation, unité du registre).

Proposition de corrigé

La scénographie de G. Aillaud peut provoquer l'admiration :

- on peut apprécier le génie de l'intuition, le travail des masses et de la lumière, la clarté des oppositions entre le féminin et le masculin, ce qui facilite l'appréhension du spectateur.

- on peut aussi aimer la désinvolture du peintre, son goût de la provocation, sa franchise.

L'épistolier choisit l'indignation : le spectateur-lecteur pourra reprocher à G. Aillaud

L'épistolier choisit l'ironie : le spectateur-lecteur pourra se moquer de G. Aillaud en arguant de

- Sa présomption, voire sa prétention : "Racine à mon sens n'est pas très théâtral"; "je préfère celui de responsable visuel", voire sa cuistrerie (citation de Ponge).

- Sa manière de travailler caractérisée par l'absence de culture : pas de référence à une connaissance de la représentation classique ; aucun recours à une référence, une théorie.

- Arbitraire des choix : modèle de l'appartement de Gruber,"me faisait penser à celle de Matisse".

- Vision stéréotypée, caricaturale : système binaire du masculin et du féminin.

- Approximations : "mosaïques d'inspiration romaine sur un thème plus ou moins érotique de l'époque de Dioclétien".

- Ses erreurs de jugement : la comparaison entre mettre en scène Racine et mettre en scène Baudelaire est elle-même absurde, puisque Baudelaire n'a pas écrit ses poèmes en vue de les représenter.

- Voire sa naïveté : " les images ne sont pas venues", "la pierre sert à "meubler".

- Rapprochements non motivés : "l'antique, mais également ce tableau de Matisse".

- Lecture simplificatrice de la scène 1 (voir réponse à la question 1).

- Préférence pour le travail solitaire du peintre.