Les réécritures
TEXTES
A. Alexandre Dumas-fils, La Dame aux camélias (1852), drame, extrait de lActe I, scènes 9 et 10, Editions Garnier-Flammarion, 2000.
B. René de Ceccatty, « Le temps du rêve », avertissement de lauteur à sa version théâtrale modernisée de La Dame aux camélias (2000).
C. René de Ceccatty, La Dame aux camélias (2000), adaptation théâtrale modernisée du texte dAlexandre Dumas-fils, extrait du tableau VI, Editions du Seuil, 2000.
Texte A Alexandre Dumas fils, La Dame aux camélias
[Marguerite Gautier est une courtisane, cest-à-dire une prostituée de luxe, souffrant de la tuberculose et menant une vie frénétique et festive. Le jeune Armand Duval, amoureux delle, la rejoint dans une chambre où elle sest réfugiée au milieu dune fête, prise dun nouvel accès de sa maladie.]
Scène IX
MA R G U E R I T E, seule, essayant de reprendre sa respiration Ah! [Elle se regarde dans la glace.] Comme je suis pâle! Ah!
Elle met sa tête dans ses mains et appuie ses coudes sur la cheminée.
Scène X
Marguerite, Armand
ARMAND, rentrant Eh bien, comment allez-vous, madame?
MARGUERITE Vous, monsieur Armand ! Merci, je vais mieux Dailleurs, je suis accoutumée
ARMAND Vous vous tuez ! Je voudrais être votre ami, votre parent, pour vous empêcher de vous faire mal ainsi.
MARGUERITE Ah! vous êtes bien bon! Regardez les autres, sils soccupent de moi.
ARMAND Les autres ne vous aiment pas comme je vous aime.
MARGUERITE Cest juste ; javais oublié ce grand amour.
ARMAND Vous en riez ?
MARGUERITE Dieu men garde! jentends tous les jours la même chose; je nen ris plus.
ARMAND Soit ; mais cet amour vaut bien une promesse de votre part.
MARGUERITE Laquelle ?
ARMAND Celle de vous soigner.
MARGUERITE Me soigner ! Est-ce possible?
ARMAND Pourquoi pas ?
MARGUERITE Mais, si je me soignais, je mourrais, mon cher. Ce qui me soutient, cest la vie fiévreuse que je mène. Puis, se soigner, cest bon pour les femmes du monde qui ont une famille et des amis; mais, nous, dès que nous ne pouvons plus servir au plaisir ou à la vanité de personne, on nous abandonne, et les longues soirées succèdent aux longs jours ; je le sais bien, allez ; jai été deux mois dans mon lit : au bout de trois semaines, personne ne venait plus me voir.
ARMAND Il est vrai que je ne vous suis rien, mais, si vous le vouliez, Marguerite, je vous soignerais comme un frère, je ne vous quitterais pas et je vous guérirais. Alors, quand vous en auriez la force, vous reprendriez la vie que vous menez, si bon vous semble ; mais, jen suis sûr, vous aimeriez mieux alors une existence tranquille.
MARGUERITE Vous avez le vin triste.
ARMAND Vous navez donc pas de cur, Marguerite ?
MARGUERITE Le cur! Cest la seule chose qui fasse faire naufrage dans la traversée que je fais. [Un temps.] Cest donc sérieux ?
ARMAND Très sérieux
MARGUERITE Prudence ne ma pas trompée, alors, quand elle ma dit que vous étiez sentimental. Ainsi, vous me soigneriez ?
ARMAND Oui!
MARGUERITE Vous resteriez tous les jours auprès de moi ?
ARMAND Tout le temps que je ne vous ennuierais pas.
MARGUERITE Et vous appelez cela ?
ARMAND Du dévouement.
MARGUERITE Et doù vient ce dévouement ?
ARMAND Dune sympathie irrésistible que jai pour vous.
MARGUERITE Depuis?
ARMAND Depuis deux ans, depuis un jour où je vous ai vue passer devant moi, belle, fière, souriante. Depuis ce jour, jai suivi de loin et silencieusement votre existence.
MARGUERITE Comment se fait-il que vous me disiez cela aujourdhui.
ARMAND Je ne vous connaissais pas, Marguerite.
MARGUERITE Il fallait faire connaissance. Pourquoi, lorsque jai été malade et que vous êtes si assidûment venu savoir de mes nouvelles, navez-vous pas monté ici ?
ARMAND De quel droit aurais-je monté chez vous?
MARGUERITE Est-ce quon se gêne avec une femme comme moi?
ARMAND On se gêne toujours avec une femme Et puis
MARGUERITE Et puis?
ARMAND Javais peur de linfluence que vous pouviez prendre sur ma vie.
MARGUERITE Ainsi vous êtes amoureux de moi !
ARMAND, la regardant et la voyant rire Si je dois vous le dire, ce nest pas aujourdhui.
MARGUERITE Ne le dites jamais.
Texte B René de Ceccatty, « Le temps du rêve »
Si on lit la pièce de Dumas, on peut percevoir tout ce qui fait lartifice du théâtre de la seconde moitié du XIXe siècle. [ ]
Lexpression des sentiments, la mise en place des personnages, lévolution dramatique nont rien de réaliste, mais usent dun langage naturaliste et emphatique, même si, au jugement de tous, la pièce paraissait communiquer une émotion immédiate.
Alexandre Dumas fils était embarrassé pour représenter sur scène des situations qui pouvaient passer pour scabreuses, puisquil y était question de la vénalité, de la double vie des notables, de la respectabilité et de la déchéance. Il avait donc pris un certain nombre de précautions oratoires qui se manifestaient dans des discours puritains. [ ]
Le théâtre nest plus reçu comme il létait au XIXe siècle. Nous avons désormais dinnombrables points de comparaison. La narration peut y être moins rigide, le rythme plus fluide, les ellipses y sont admises. Il y a, dans mon adaptation, une influence du temps cinématographique. Mais cest surtout le temps de la remémoration, le temps intérieur, le temps du rêve que jai voulu re t rouver et que la mise en scène peut permettre aux comédiens dincarner.
Texte C René de Ceccatty, La Dame aux camélias
MA R G U E R I T E Je suis fatiguée. Je ne sais pas. Je ne veux pas savoir. Ne prenez pas cette mine dramatique. Je ne suis pas morte. Restez. Je suis rassurée de vous savoir près de moi. Je suis seule sans lêtre en vous sachant là. Vous êtes pâle. Avez-vous la même maladie que moi ?
ARMAND Je voudrais être malade à votre place. Est-ce que vous souffrez ?
MARGUERITE Très peu. Jy suis habituée.
ARMAND À mener cette vie, vous vous tuez.
MARGUERITE, se voyant dans un miroir Comme je suis pâle! Vous avez raison. Je me tue. Et alors ? [Il reste muet.] Vous êtes un enfant. Écoutez, je ne dors pas. Il faut bien que je me distraie.
ARMAND Mais avec un Rodolphe de Nevers avec un duc de Bassano
MARGUERITE Avec le premier je mennuie et le second me poursuit de sa jalousie.
ARMAND Cest donc une piètre distraction.
MARGUERITE Aussi nest-ce pas avec eux que jentends me divertir.
ARMAND Êtes-vous sûre davoir besoin de divertissement ?
MA R G U E R I T E De quoi dautre ? Damour ? Jen connais lapparence, ce nest déjà pas si mal.
ARMAND Lapparence ? Cest-à-dire ?
MARGUERITE Séduire, changer.
ARMAND Jouir ?
MARGUERITE Vous me posez la question sur un ton qui condamne le mot. Comme vous êtes chaste.
ARMAND Qui vous lassure ?
MA R G U E R I T E Votre regard. Votre voix. Votre sérieux. Vous avez une maîtresse ? Laissez-moi deviner. Jimagine une petite bourgeoise fort tendre et fort sentimentale. Qui serait bien malheureuse de vous voir ici, près de moi, à cette heure. Qui vous attend peut-être.
ARMAND Javais pour maîtresse une femme comme vous la décrivez.
MARGUERITE Et après ? Car je comprends quil y a un après, puisquil y a un avant.
ARMAND Ses lettres mélancoliques me faisaient sourire.
MARGUERITE Vo u s ? Vous êtes capable de cette dureté ? La dureté qui fait sourire de lamour quon suscite ?
ARMAND Je comprends le mal que je lui ai fait, par celui que jéprouve, quand
MARGUERITE Quand? Vous ne voulez pas poursuivre ? Il vaut mieux me laisser maintenant. Ne vous occupez pas de moi. Cela ne vaut pas la peine. Voyez si les autres se soucient de moi. Ils savent bien quil ny a rien à faire. [Il reste muet, immobile.] Vous ne partez pas ? Une fille comme moi, vous savez, une de plus ou de moins
ARMAND Que disent les médecins?
MARGUERITE Que le sang que je crache nest pas bon.
ARMAND Soignez-vous.
MARGUERITE Pourquoi ? Pour qui ? On se soigne quand on a des amis à qui lon veut épargner la douleur de sa perte.
É c r i t u re
I. Vous répondrez dabord à la question suivante (4 points) :
À partir de deux exemples précis confrontant les textes A et C, et en vous appuyant sur le texte B, vous expliquerez dans quelle perspective René de Ceccatty a choisi dinfléchir luvre dAlexandre Dumas fils.
II. Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (16 points) :
1. Commentaire
Vous commenterez ladaptation de René de Ceccatty de La Dame aux camélias (texte C).
2. Dissertation
Comprenez-vous quun écrivain puisse choisir de réécrire ce que lui ou dautres ont déjà écrit ?
Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui sur les textes proposés, ceux que vous avez étudiés en classe et vos propres lectures.
3. Invention
Vous proposerez à votre tour une réécriture du texte dAlexandre Dumas fils (texte A). Au lieu de prétendre restituer le pouvoir démotion de ce texte à des spectateurs modernes, vous insisterez sur ses possibles défauts, dans une perspective parodique rendant la scène ridicule.
Présentation du sujet
Sil sinscrit dans lobjet détude "les réécritures", il est aussi lié par son corpus et les problèmes quil soulève à lobjet détude "Le théâtre, texte et représentation". La modernisation par René de Ceccatty du drame dAlexandre Dumas-fils permet de réfléchir à la réception dune uvre, au degré dacceptabilité des conventions ou du pathétique suivant les époques. Le texte B explicite certains des reproches adressés par la modernité aux conventions du drame, et facilite donc le travail de confrontation des textes demandé aux élèves. Par sa présence, il permet aussi dévaluer la capacité à utiliser le paratexte.
Question
Vous répondrez dabord à la question suivante :
A partir de deux exemples précis confrontant les textes A et C, et en vous appuyant sur le texte B, vous expliquerez dans quelle perspective
René de Ceccatty a choisi dinfléchir luvre dAlexandre Dumas-fils.
Cette question préalable aide à entrer dans la problématique de la réécriture ; elle renvoie aussi au problème de lévolution des conventions théâtrales et de leur réception. Elle vise à préparer aux trois sujets proposés. Pour le commentaire, lélève peut prendre en compte certaines spécificités du texte de René de Ceccatty et commencer à analyser les modifications et « corrections » quil impose à celui dAlexandre Dumas-fils. Pour la dissertation, la réécriture conçue comme modernisation fournit un argument dans le débat proposé. Pour lécriture dinvention, le travail préalable permet denvisager certains exemples du pathétique à luvre dans le texte A, que lélève aura à amplifier pour parvenir à la parodie exigée.
La réponse à la question suppose une réflexion précise sur le texte B, quon peut tenir pour un guide de lecture, lauteur y expliquant ses réserves quant à lécriture théâtrale dAlexandre Dumas-fils et plus exactement de son époque. La perception dun « artifice » (ligne 1), la dénonciation dun « langage naturaliste et emphatique » (ligne 4), la mention de « précautions oratoires » (ligne 8) sont autant dindices pour comprendre la direction dans laquelle René de Ceccatty a voulu retravailler le texte initial. Létude du texte B requise par le libellé de la question aide donc les élèves, qui y apprennent ce quils doivent chercher dans la confrontation des textes A et C.
On a limité à deux exemples précis le travail de confrontation dans le souci de ne pas alourdir exagérément le travail. Chaque exemple de confrontation des textes, analysé et expliqué, pourra être noté sur deux points. Les critères dévaluation sont les suivants :
- une sélection pertinente des exemples : il sagit de confronter des passages précis des deux textes dans lesquels le travail de réécriture est apparent ;
- une étude précise de la réécriture : un collage de citations nexplique rien sil ne saccompagne pas dune analyse succincte, dun effort dinterprétation.
On peut attendre, parmi dautres possibilités :
- La comparaison du traitement de lexclamation « Comme je suis pâle ! » dans les deux versions. Dumas-fils opte pour un monologue avant lentrée en scène dArmand. Lartificialité du procédé théâtral saccompagne dexclamations pathétiques (« Ah ! » encadrant lénoncé) et de didascalies fort abondantes qui redoublent le caractère pathétique du propos (« Essayant de reprendre sa respiration », « Elle se regarde dans la glace », « Elle met sa tête dans ses mains et appuie ses coudes sur la cheminée »). Lénoncé pathétique est donc souligné par la gestuelle et la situation du personnage seul en scène : la dramaturgie court le risque de la redondance. René de Ceccatty a choisi pour sa part dintégrer la réplique au dialogue, où elle vient confirmer à la ligne 7 la réplique précédente. La seule didascalie maintenue est celle mentionnant le miroir, élément indispensable à la situation. Immédiatement suivie de phrases brèves et sèches (« Je me tue. Et alors ? »), lexclamation apparaît comme un rapide moment de révélation, comme une brutale inquiétude aussitôt maîtrisée. Par les jeux de scène, le rythme et la construction de la parole, les deux versions opposent ainsi une dramaturgie de leffet à une réécriture visant à estomper les procédés du mélodrame.
- Une comparaison de variantes plus longues. Des lignes 12 à 18 notamment, René de Ceccatty innove en faisant exposer par Marguerite sa philosophie de la vie : apparence, séduction, variété, la question du plaisir étant évoquée puis laissée de côté. Ce passage ajoute une dimension réflexive au personnage de Marguerite, et répond davantage à une morale moderne quaux bienséances du théâtre du XIXème siècle.
Dautres exemples sont évidemment envisageables : lapprofondissement du personnage dArmand questionné par Marguerite dans la version de René de Ceccatty, la disparition de déclarations solennelles et un peu trop imagées (« Le cur ! cest la seule chose qui fasse naufrage dans la traversée que je fais », réplique 18 de la scène X), la substitution dun vocabulaire direct et presque brutal (« Séduire », « jouir », « chaste », « une petite bourgeoise fort tendre ») aux périphrases sentimentales dAlexandre Dumas-fils (« Dune sympathie irrésistible que jai pour vous »), lavertissement de Marguerite (« Ne prenez pas cette mine dramatique ») presque emblématique du travail de René de Ceccatty. Dans tous les cas, les exemples concernent chaque fois les reproches dartificialité, demphase ou de prudence moralisatrice. On sanctionnera toute confrontation sans étude des visées et effets des variantes ; on valorisera les efforts danalyse et la prise en compte du texte B comme guide de confrontation.
Commentaire
Vous commenterez ladaptation de René de Ceccatty de La Dame aux camélias (texte C).
Dans le cadre de lobjet détude, le commentaire suppose une réflexion concernant la réécriture, comme le précise le terme choisi dans le libellé (« vous commenterez ladaptation »). Il convient donc que les élèves envisagent le texte C non comme une totalité close, mais dans ses liens et déplacements avec le texte initial. Cette optique générale du travail de commentaire ne signifie cependant pas que la copie doive confronter terme à terme les textes A et C. On nimposera donc pas un commentaire comparé, mais une étude interprétative qui prenne en compte la question de la réécriture. Dautre part, même si lobjet détude « le théâtre : texte et représentation » ne se trouve pas explicitement mentionné dans le sujet proposé, il est permis destimer que la considération de la dimension dramaturgique simpose dans le travail de commentaire dun texte théâtral.
Compte tenu de ces exigences minimales, le commentaire pourra envisager :
- le rythme et lévolution du dialogue (choix de répliques brèves, renversement du jeu des questions, Marguerite interrogeant Armand au moins autant quelle se voit questionnée) ;
- la relation des personnages : inquiétudes, reproches, plaintes ou ironie ne se comprennent ici que dans le cadre dune scène amoureuse. Lappartenance à deux mondes différents, voire inconciliables, est particulièrement soulignée dans la deuxième moitié de lextrait ;
- les liens entre amour et mort, lamour étant conçu comme le rêve dun partage de la maladie (« Avez-vous la même maladie que moi ? » / « Je voudrais être malade à votre place ») ;
- la tension permanente entre le contenu pathétique (maladie, mort, solitude) et lapparente sécheresse de lexpression (constats, phrases brèves et parfois nominales, ironie, vocabulaire brutal) : la morbidité se dit dans une écriture concise, et une dramaturgie soucieuse déviter leffet ;
- le découpage par « tableaux » mentionné dans la présentation des textes plutôt que par « scènes », qui pourrait bien répondre au souhait dune « narration plus fluide » exprimé dans le texte B.
Les pistes ici mentionnées ne forment nullement un plan obligatoire. On acceptera aussi bien un commentaire construit à partir daxes de lecture quun commentaire rendant compte de la découverte progressive du texte, partant par exemple de la gravité du propos pour constater que lécriture et la dramaturgie visent à effacer les marques habituelles du mélodrame.
Ces deux démarches peuvent donner lieu notamment aux constructions suivantes.
Première proposition
I. Ce que ladaptation reprend à la tradition :
- des personnages (identité, milieu, situation) et leurs relations,
- des expressions, des répliques.
II. Ce que ladaptation modifie :
- le refus affiché du pathétique dans le dialogue et la dramaturgie,
- lapprofondissement psychologique des personnages,
- un fantasme du partage de la maladie.
Deuxième proposition
I. Une scène amoureuse :
- compassion, aveu, partage et reproche,
- des personnages aimants et étrangers : « Votre sérieux » face à la « distraction », « une fille comme moi » face à « une petite bourgeoise fort tendre »,
- lamour avoué dans la menace de la mort.
II. Une écriture et une dramaturgie qui tentent de limiter le caractère pathétique du thème :
- le « tableau » et le refus du monologue,
- le rythme du dialogue, des répliques et le vocabulaire choisi.
III. Une adaptation qui vise à modifier la portée du texte :
- Une Marguerite plus brutale et plus réfléchie,
- Un amour rêvant le partage de la maladie.
Troisième proposition
I. Les visées dune adaptation :
modernisation, estompe des effets mélodramatiques, fluidité et rapidité du discours.
II. Les effets dune adaptation :
dans quelle mesure ladaptation échappe-t-elle vraiment aux conventions du mélodrame ?
Dissertation
Comprenez-vous quun écrivain puisse choisir de réécrire ce que lui ou dautres ont déjà écrit ? Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui sur les textes proposés, ceux que vous avez étudiés en classe et vos propres lectures.
La problématique du corpus concerne la réécriture comme modernisation. Elle prend délibérément appui sur un texte qui na peut-être pas été capable de dépasser ou de déplacer les conventions de son époque. Si le sujet de dissertation concerne aussi cet aspect de la réécriture (conçue comme correction et modernisation) il ne se limite cependant pas à ce seul enjeu. Sil peut partir des éléments du corpus, lélève est en conséquence invité à élargir le problème. La réécriture dun mythe (les Antigone, les Oreste, les différents Amphitryon, les Odyssées, les Faust ), la réécriture-transposition (parodies, pastiches ), la réécriture dune forme (les fables) ou la réécriture par un même auteur, comme le précisent les termes du sujet constituent autant de pistes de réflexion.
On nattendra évidemment pas de lélève quil soit en mesure de les envisager toutes dans les limites dun devoir. En revanche, comme le sujet ly invite, il devra nécessairement élargir aux formes de réécriture étudiées dans lannée. De même, cest délibérément que le sujet insiste sur une prise de position personnelle (« Comprenez-vous ») dans le but de sanctionner ce qui ne serait que la récitation dun cours.
On peut attendre des élèves quils envisagent notamment, sans préjuger du plan choisi :
- la question de loriginalité, qui les préoccupe souvent, en montrant quelle nest peut-être quun mythe historiquement daté. Lacquisition dune culture littéraire, objectif des classes de lycée, suppose en effet un minimum de recul historique permettant de contester cette représentation de lactivité créatrice. Pourtant, la question peut continuer à se poser, à un autre niveau : la réécriture dAmphitryon ou de lOrestie ne vaut que dans la mesure où Molière, Giraudoux ou Sartre sapproprient et modifient les uvres précédentes.
- la question de la modernisation et ses limites : si le souci de « corriger » les effets datés du drame dAlexandre Dumas-fils peut sans doute se comprendre, ny a-t-il pas un péril de paresse des lecteurs, voire damnésie culturelle, à prétendre « transposer » des uvres dans le seul but de les rendre plus immédiatement accessibles ? La réécriture dun texte en fonction de lidéologie du moment ne constitue-t-elle pas un péril, voire une malhonnêteté ?
- la question de la lecture : il sagit peut-être moins dans la réécriture deffacer luvre précédente que dentretenir un jeu complexe de révérence et dirrespect, qui suppose, de la part du lecteur, une confrontation permanente avec le texte-source ce quon appelle une culture.
Outre les critères généraux dévaluation de lexercice de la dissertation, on peut donc retenir ici :
- lélargissement de la problématique au-delà de celle du seul corpus,
- lexpression dune opinion personnelle, et donc une démarche délibérative qui ne se limite ni au catalogue, ni à la simple opposition du bien-fondé et de lillégitimité des réécritures.
Invention
Vous proposerez à votre tour une réécriture du texte dAlexandre Dumas-fils (texte A). Au lieu de prétendre restituer le pouvoir démotion de ce texte à des spectateurs modernes, vous insisterez sur ses possibles défauts, dans une perspective parodique rendant la scène ridicule.
La parodie constitue un exercice décriture dinvention pertinent en ce quil suppose des compétences de lecture autant que décriture. Il faut préciser cependant quil ne sagit pas, dans le cadre de la classe comme de lexamen, den faire un idéal : il serait dommageable dimposer à des adolescents dironiser sur ce quils peuvent aussi admirer. Ici, le travail proposé paraît échapper à ce problème : il est directement lié à la problématique du corpus ; il prend appui sur un texte dont il peut être intéressant de faire ressentir les possibles limites.
La réalisation dune parodie suppose ici le repérage précis de procédés textuels et dramaturgiques (exclamation, monologue, registre pathétique) et de certains thèmes (maladie, mort, amour, solitude) quil sagit de reprendre et doutrer. Les élèves peuvent, entre autres sources dinspiration, renchérir sur le monologue de Marguerite, faire de lentrée en scène dArmand un coup de théâtre, suraccentuer les exclamations ou les passages de déploration.
Lévaluation peut donc retenir, outre ceux valables pour toutes les écritures dinvention, les critères suivants :
- le respect de la forme théâtrale ;
- le maintien de la situation ;
- laffichage dun registre pathétique ;
- loutrance de procédés textuels et dramaturgiques.
On sanctionnera en conséquence les incohérences par rapport à lintrigue, le basculement dans une autre histoire, les réécritures confondant la parodie avec le seul changement de registre de langue. On valorisera en revanche la finesse avec laquelle la réécriture peut parvenir à inscrire de lironie sans utiliser des effets trop grossiers.